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Article des étudiants | Gaz dans l’eau méditerranéenne : la France face à la Turquie

Article des étudiants | Gaz dans l’eau méditerranéenne : la France face à la Turquie

Article des étudiants de l’ISSEP

Le 20 août, le président recevait au Fort de Brégançon la chancelière allemande. Il a notamment été question des tensions en Méditerranée orientale, provoquées par la Turquie pour des motifs économiques et idéologiques.

 

Ces tensions ont pour origine la découverte il y a dix ans d’importants gisements gaziers dans le sous-sol méditerranéen, présents en partie dans les eaux grecques et chypriotes que la Turquie revendique. Selon le cabinet WoodMackenzie cité par Le Figaro, ces gisements renfermeraient près de 1900 milliards de mètres cubes de gaz, soit l’équivalent de 45 ans de consommation de la France. Du fait de cette manne, la Turquie a conclu en novembre dernier un accord avec le gouvernement libyen pour créer unilatéralement un corridor maritime entre les deux pays traversant les gisements au sud de la Crète. En outre, ce corridor coupe le tracé établi pour le projet de gazoduc sous-marin EastMed. Ce projet, dont le coût s’élève à six milliards d’euros, réunit Israël, Chypre et la Grèce, et a pour objectif de fournir l’Europe en gaz en partant de Méditerranée orientale pour atteindre l’Italie. Or, par son accord avec Tripoli, la Turquie bloque le projet pour lequel elle entend avoir son mot à dire.

Par ailleurs, la mainmise sur les gisements de gaz donne à Ankara le moyen de diminuer sa dépendance énergétique à l’égard de la Russie, qui lui fournit 90% du gaz. Aussi pour appuyer ses revendications, la Turquie mène des opérations de prospection sous escorte militaire dans les eaux grecques. Ainsi, la semaine du 10 au 17 août a vu le navire de recherche sismique Oruç Reis (du nom turc du corsaire ottoman Arudj Barberousse) prospecter dans les eaux grecques du sud-est de la mer Égée, accompagné de navires de guerre. D’autres actions de ce type s’étaient déjà produites fin juillet, provoquant de fortes tensions entre Ankara et Athènes au point que la France a envoyé le 13 août deux Rafale en Crète et a aussi effectué un exercice militaire naval avec la marine grecque.

Cette attitude allemande trouve son explication dans le fait que l’Allemagne a sur son sol la plus forte communauté turque d’Europe, dont le président Erdogan encourage la non intégration, lui fournissant un levier d’influence.

En réaction, l’Allemagne, qui assure la présidence de l’UE jusqu’à la fin de l’année, s’est contentée de « prendre acte » du déploiement français, appelant ensuite à la désescalade. Ce faible soutien de Berlin envers Paris a été encore constaté ce jeudi, au cours de la conférence de presse commune entre Merkel et Macron au Fort de Brégançon. La Chancelière a ainsi estimé que les tensions devaient être résolues par la « discussion, la négociation et non par la tension militaire ».

Cette attitude allemande trouve son explication dans le fait que l’Allemagne a sur son sol la plus forte communauté turque d’Europe, dont le président Erdogan encourage la non intégration, lui fournissant un levier d’influence. De même, Berlin ne tient pas à être responsable d’une possible crise migratoire provoquée par la Turquie qui peut rouvrir ses frontières pour laisser 3,6 millions de migrants passer en Europe. De plus, l’Allemagne n’a pas de rives en Méditerranée et n’y a jamais été présente, hormis lors de la Seconde Guerre mondiale. De fait, elle a une perception des enjeux différente de celle de la France et de la Grèce. Enfin, son regard est d’abord porté vers l’est, avec actuellement la Biélorussie dans le viseur, où le soutien allemand aux manifestants est plus fort qu’à l’égard des Grecs, pourtant membres de l’UE et de l’OTAN comme Berlin.

Mais les tensions en Méditerranée ne sont pas du seul fait de la présence de gaz. Il y a en effet une confrontation idéologique derrière l’aspect économique de cette confrontation. L’engagement d’Ankara doit se comprendre par le néo-ottomanisme du président Erdogan, qui entend rétablir l’influence turque sur les anciens territoires de l’Empire ottoman. Du XVIe au XIXe siècle, les Ottomans considéraient la Méditerranée orientale comme un « lac turc », tout comme la mer Noire du XVe au XVIIIe siècle. À ce titre, le président Erdogan a annoncé le 21 août la découverte du « plus grand gisement gazier » de l’histoire du pays, estimé à 320 milliards de mètres cubes et situé à 150 km des côtes turques et non loin de celles de la Roumanie et de la Bulgarie. Il a ajouté que les prospections en Méditerranée orientale allaient se poursuivre.

Le projet néo-ottoman d’Ankara passe par un soutien à la confrérie des Frères musulmans. Cette dernière promeut une islamisation des sociétés, avec à terme le rétablissement du Califat, entité politique qui réunirait les membres de l’Oumma, la communauté des croyants sans distinction de nationalité. Or, de 1517 à 1924, l’Empire ottoman a assumé ce rôle, avec un dirigeant à la fois chef politique et religieux. De fait, le président Erdogan et les Frères musulmans ont en ligne de mire 2024 et le centenaire de l’abolition du Califat en vue d’un possible rétablissement de cette entité, qui bénéficierait des revenus des exploitations des gisements gaziers. Aussi, la reconversion en mosquée du joyau byzantin en la basilique de Sainte-Sophie, à Istanbul, le 10 juillet par Erdogan, permet à la Turquie de se présenter comme le nouveau porte-drapeau de l’islam aux yeux des Musulmans. Il est à noter que le 21 août, un autre édifice byzantin datant du Ve siècle, l’église Saint-Sauveur-in-Chora à Istanbul, a aussi été reconverti en mosquée par décision d’Ankara après avoir été un musée depuis 1958.

Malgré une posture se voulant forte, le président Macron reste dans un registre européaniste et se refuse d’entrer dans une logique de rapport de force.

Par ces actes, il apparaît donc de plus en plus évident que la Turquie islamiste est dans une logique de confrontation civilisationnelle face à l’Europe chrétienne, et notamment la Grèce, sensible au sort des édifices byzantins. Ankara tire notamment profit de la division des pays européens et de leur refus d’entrer dans cette logique de confrontation, comme le montrent les réticences allemandes à soutenir la France et la Grèce. De même, malgré une posture se voulant forte, le président Macron reste dans un registre européaniste et se refuse d’entrer dans une logique de rapport de force. En effet, lors de la conférence de presse au Fort de Brégançon jeudi, il a estimé que l’objectif était de « préserver la souveraineté européenne » en Méditerranée orientale, et non la souveraineté grecque. Or, il ne peut exister de souveraineté européenne du fait de l’absence d’Etat européen. De même, le président français a estimé que « la force militaire seule ne tient pas et ne mène qu’à l’escalade ».
Erdogan de son côté n’hésite pas à intervenir militairement en Syrie et en Libye pour atteindre ses objectifs. De son soutien militaire au gouvernement libyen dépend l’avenir de l’accord passé en novembre qui donne accès aux gisements gaziers. La France se trouve face à un dilemme : soit elle espère encore pouvoir convaincre ses partenaires, soit elle prend les devants et entre dans la logique de confrontation engagée par la Turquie. En effet, en tant que protectrice des chrétiens d’Orient, la France pourrait s’engager de manière plus forte aux côtés de la Grèce, dont l’année 2021 marquera le bicentenaire de la guerre d’indépendance face à la domination ottomane (1821-1829). Une guerre marquée par l’intervention française aux côtés de la Russie et du Royaume-Uni pour soutenir les insurgés grecs à partir de 1827, après les massacres par les Ottomans des habitants des îles de Chios et de Psara.

 

Guillaume,
étudiant en Bac+5 à l’ISSEP
publié sur L’Incorrect