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Cinq questions à … Eugénie Bastié

Cinq questions à … Eugénie Bastié

Eugénie Bastié, Journaliste et essayiste  

Le porc émissaire : Terreur ou contre-révolution ?

Les activistes de #MeToo, et de son équivalent français #BalanceTonPorc semblent vouloir spécifiquement s’attaquer au comportement de l’homme blanc occidental. Pourquoi, selon vous, ciblent-elles quasi exclusivement ce profil ?

Je ne pense pas que MeToo s’attaque spécifiquement au mâle blanc occidental : par exemple, Tariq Ramadan a lui aussi été visé par des plaintes. Je crois cependant en effet qu’il y a eu une sorte de catharsis au moment de l’affaire Weinstein, qui a consisté à faire de ce fait-divers le visage même du monde occidental. Le « porc » devenait, non pas une exception, mais la norme de nos sociétés prétendument émancipées. En 2017, l’affaire de Cologne (où des migrants s’étaient attaqué en masse à des femmes allemandes lors de la nuit de la Saint-Sylvestre) a provoqué un choc en Occident, où les féministes ont été accusées de ne pas avoir réagi assez vite et fermement de peur de se voir accusées de racisme. Je crois que MeToo, plus ou moins consciemment, a été un retour de bâton. L’idée c’était de dire : « les violeurs ne sont pas les autres, ils ont parmi nous », « de quel droit nous permettons-nous de faire la leçon à d’autres cultures alors que la nôtre est si oppressive pour les femmes ? ». Il y avait je crois une forme de relativisme culturel, qui tendait à oublier que si MeToo avait pu surgir en Occident, c’est précisément parce que les femmes y sont libres de s’exprimer. Des hommes ont admis, à la faveur de la campagne #BalanceTonPorc, avoir des comportements discutables, ou bien se sont sentis montrés du doigt. Ce regard des hommes sur eux-mêmes, est-ce un aspect positif de cette campagne ? En effet, je crois que la prise de conscience par les hommes de comportements vulgaires, de lourdeurs inacceptables, d’un manque de savoir-vivre et de respect auprès des femmes est l’un des aspects positifs de MeToo. J’aimerais simplement que le respect qu’ils doivent avoir pour les femmes ne se bâtisse pas sur la peur de l’opprobre mais sur une véritable éducation. Dans votre ouvrage vous expliquez que cet activisme féministe est avant tout une nouvelle lutte des classes puisque ce sont des femmes issues de la société bourgeoise et aisée, voire des people, qui se posent comme porte-parole de toute la gente féminine. Est-ce de là que vient la totale déconnection entre les problèmes réels, quotidiens, concrets des femmes et les combats choisis par ces activistes ? Je dis qu’en effet MeToo est parti de l’élite hollywoodienne, donc de femmes qui avaient déjà la parole. Je crois simplement qu’à trop genrer les rapports sociaux, on en fini par oublier en effet les rapports de classe. Il n’y a pas grand-chose de commun entre le quotidien de Nathalie Portman et d’une caissière de chez Monoprix, et dire qu’elles sont les victimes d’un même système a quelque chose d’obscène. Plus largement je crois que c’est une erreur majeure du féminisme de calquer le schéma marxiste de la lutte des classes à la lutte des sexes, où l’homme jouerait le rôle du patron et la femme celui du prolétaire exploité. La différence entre hommes et femmes et leur complémentarité est une richesse, là où l’aliénation économique est une injustice. Le choix du titre de votre ouvrage Le porc émissaire, Terreur ou contre-révolution ? est percutant, vous y mêlez sujets d’actualités et références historiques. À quelle conclusion êtes-vous parvenue ? S’agit-il d’une terreur ou d’une contre-révolution ? J’ai voulu prendre le contrepied du lieu commun médiatique qui voyait dans MeToo une « révolution ». Je pense que la « révolution » féministe a déjà eu lieu : ça été la conquête de l’égalité des droits et de la liberté sexuelle. Le patriarcat a été renversé, et MeToo n’est qu’une réplique sismique de ce tremblement de terre : l’une des dernières poches où le pouvoir des hommes subsistait (dans le monde professionnel notamment) était en train de disparaitre. Mais après le 1789 de la révolution féministe, nous risquons de nous retrouver avec un 1793 : après avoir éliminé le patriarcat des institutions, il faudrait l’éliminer des reins et des cœurs, en traquer partout les symboles, déconstruire et faire table rase. C’est là un danger, accentué par la possibilité de lynchage et de délation qu’offrent les réseaux sociaux, qui dissocient le temps médiatique du temps judiciaire. Mais je pense qu’on peut aussi lire dans MeToo un phénomène contre-révolutionnaire, un retour de balancier conservateur : 50 ans après avoir proclamé qu’il fallait « jouir sans entraves », on se rend compte que la sexualité continue à porter une part d’ombre et de tragédie. La vision aride d’une sexualité uniquement pulsionnelle et consumériste, l’injonction à la jouissance répétée et banalisée ont leurs revers dans l’objectivation des corps et la stéréotypisation des désirs. Le malaise autour du consentement a quelque chose à voir je crois avec l’absence d’éthique sexuelle même minimale. Vous semblez prôner une réappropriation respective, par les hommes et par les femmes, des concepts d’honneur et de pudeur. Est-il encore possible, dans une société devenue multiculturelle, de trouver un référentiel unanimement partagé/commun sur cette question profondément culturelle du rapport entre les hommes et les femmes ? Je termine mon livre en effet par un appel aux vertus démodées d’honneur et de pudeur. Cela est délibérément provocateur dans une époque démocratique que je sais profondément hostile à ces ethos aristocratiques. Par pudeur, je n’entends évidemment pas « puritanisme », et c’est pourquoi pour moi le voile islamique n’a rien à voir avec la pudeur. Je crois d’ailleurs que beaucoup de jeunes hommes et jeunes femmes se jettent dans le conservatisme islamique, qui est à mes yeux caricatural et liberticide, par rejet d’une société hyper libertaire. C’est un problème qu’il faut prendre au sérieux. La pudeur est un mouvement spontané de l’âme, individuel et libre, et ne saurait être imposé par une norme extérieure sous peine de se transformer en pudibonderie. Idem pour l’honneur : si l’honneur est un code imposé et obligatoire, il n’a plus de valeur. L’homme d’honneur est précisément celui qui se distingue par son courage particulier et les devoirs qu’ils s’imposent à lui-même. Honneur et pudeur sont deux vertus qui sont à l’articulation du corps et de l’âme, du privé et du public, que nous avons bien de la peine à distinguer à une époque qui nivelle tout. Je crois que c’est cela aussi que je propose : cultiver l’intime, contre un état thérapeutique qui s’invite partout jusque dans la chambre à coucher et les livres pour enfants. Jehanne et Michel, étudiants de l’ISSEP   Eugénie Bastié, Le porc émissaire. Terreur ou contre-révolution, Editions du Cerf, 2018, 176 pages, 18€