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Dorothy Day, une femme de contradictions : révolution et catholicité

Dorothy Day, une femme de contradictions : révolution et catholicité

 

On cite souvent les mêmes noms de femmes : Olympe de Gouges, Simone de Beauvoir, Simone Veil. Mais on méconnaît en France celui de Dorothy Day, une américaine radicalement engagée au service des plus pauvres.

Une jeunesse baignée de socialisme « J’avais reçu un appel, une vocation, une direction à donner à ma vie ». « Ce désir d’être avec mes pauvres et les petits et les abandonnés […] Je voulais me mêler aux piquets de grève, aller en prison, écrire, influencer les autres pour laisser ma marque sur le monde. Que d’ambition personnelle et de recherche de soi il y avait dans tout cela ! » Dorothy est new-yorkaise, née en 1897 à Brooklyn au sein d’une famille modeste dont le père John Day, travaille la nuit pour l’édition des journaux du matin. Son enfance modeste à Oakland puis à Chicago, et la lecture assidue d’ouvrages socialistes la plongent dans un univers qui la passionne, qui l’anime et la fait vivre, ce sera sa vocation : « Le slogan marxiste « Travailleurs du monde entier unissez-vous ! Vous n’avez rien d’autre à perdre que vos chaînes » me semblait être le plus excitant des cris de guerre. C’était une sonnerie de clairon qui me faisait sentir une avec les masses, à part du monde bourgeois, de gens à l’esprit étroit, des satisfaits. A 18 ans, elle quitte l’université, préférant s’engager dans la vie active, et rejoint sa famille à New York, où elle travaille quelques mois pour un quotidien socialiste The Call. Dorothy a multiplié les expériences dans différents métiers, rédactrice dans plusieurs journaux, et même infirmière pendant la seconde guerre mondiale, quelques séjours en prisons agrémentant ses engagements politiques dans des luttes sociales contre la guerre, ou pour les droits des femmes et des travailleurs. Ces premiers postes l’introduisent également dans le milieu intellectuel socialiste new-yorkais du Greenwich Village avec notamment Michael Gold, Max Eastman et Floyd Dell, elle y rencontre la Lost Generation : Malcolm Cowley, Dos Passos, et surtout Eugene O’Neill. Dans l’ardeur d’un cœur animé par les passions politiques, les amours ne tardent pas à envahir et à troubler cette âme de 20 ans : un amant qui la fait avorter, un mari par dépit, puis un homme qu’elle aime passionnément et qui lui donne une fille, Tamar Teresa. Ce sont autant de blessures qui la pousseront progressivement vers la foi et qui lui donneront de la matière pour son activité favorite, l’écriture : Loaves and fishes, On pilgrimage, The Long LonelinessCatholique d’abord ! « La longue solitude » En entrant à l’université, elle avait retranché la religion de sa vie, considérant que l’engagement politique était incompatible avec la foi. Mais par la suite, c’est ce même discours de foi et de sainteté qui finit par la happer, par la convertir, à 30 ans, dans la vie paisible qu’elle mène avec son compagnon et son bébé. Dans la vie familiale qui succède à la peine, Dorothy découvre petit à petit la foi : « On a tellement besoin de vénérer, d’adorer ! C’est une nécessité psychologique de la nature humaine dont il faut tenir compte. Nous n’aimons pas convenir que les autres ne nous suffisent pas ». L’amour de Forster et de leur enfant Tamar Teresa avait ouvert la voie à un plus grand amour encore, Dorothy demanda le baptême, pour son bébé d’abord, et pour elle-même ensuite. Sa conversion est l’occasion pour elle de « faire une pause dans la ruée sauvage de la vie, pour [se] souvenir de [son] commencement et de [sa] fin ultime ». Dorothy Day quitte son foyer et les milieux socialistes, communistes et anarchistes qu’elle côtoie alors, elle entre dans une « longue solitude », qui inspirera le titre de son ouvrage autobiographique. Dans le contexte de détresse sociale de la Grande Dépression de 1932, Dorothy cherche un moyen d’appliquer la doctrine sociale de l’Eglise, mais elle ne trouve aucun appui de cette dernière. Et le 8 décembre de la même année : « J’ai alors prié pour qu’un chemin me soit montré, un chemin me soit ouvert pour travailler pour les pauvres et les opprimés. Quand je suis rentrée à New York, Peter Maurin m’attendait à la maison ». Ce Français, grand voyageur, est également un converti. Comme Dorothy, il cherche à redonner à l’Eglise sa dimension sociale évangélique. Ensemble ils vont fonder un journal : le Catholic Worker, dont le premier numéro sort le 1er mai 1933. La maison d’édition se double aussi d’une communauté de vie, associative, pour porter secours aux plus démunis, par le don de vêtements et la soupe populaire : la maison Saint Joseph. « Je suis désolée, je suis une traditionnaliste » Peter Maurin sera le mentor de Dorothy. Thomiste, il défend l’idée du Bien Commun comme une première nécessité et ambition face au contexte industriel moderne à une époque où « l’homme se donnait lui-même en pâture à la machine ». Ainsi, Dorothy reprend cette vision selon laquelle l’homme doit être capable de produire les biens nécessaires à chacun pour une meilleure vie matérielle, et qu’il exprime dans cette synthèse : « culte, culture, agriculture ». Car Peter Maurin considère qu’il faut changer le cœur et l’esprit des hommes, « il faut leur donner une vision, la vision d’une société où il leur serait plus facile d’être bon ». Selon lui, la responsabilité du Bien Commun repose sur chaque membre de la société, qui doit avoir à cœur d’accueillir le faible et l’opprimé au sein de son foyer catholique d’abord. Mais il refuse les subventions étatiques, car il estime que ce n’est pas à l’Etat d’endosser le rôle de protecteur, mais bien à chacun de prendre ses responsabilités pour appliquer la loi de l’Evangile. La Maison Saint Joseph rayonne ensuite jusqu’à devenir un mouvement, d’autres maisons d’hospitalités naissent, comme au cœur de New York au 115 Mott Street, des fermes collectives (Easton farm en Pennsylvanie), et le nombre de tirages de journaux augmentent considérablement (100 000 en 1936). Le mouvement et son journal sont ainsi considérés en quelques années comme le « cœur battant » et la « voix dominante pour l’enseignement social catholique aux Etats-Unis et ailleurs ». C’est dans son ouvrage autobiographique, La Longue Solitude, que Dorothy Day livre les méandres de sa vie spirituelle : « Je n’ai jamais eu l’intention d’écrire une autobiographie. J’ai plutôt toujours voulu raconter ce qui m’a amenée à Dieu, ce qui me faisait penser à Dieu ». Dorothy a encore œuvré pour la paix durant les années 60, c’est en tant que porte-parole du mouvement Pax qu’elle fut invitée à Rome en 1965 lors de la dernière session du concile Vatican II. « Don’t call me a saint ! » disait-elle à ses proches à la fin de sa vie. Son procès de canonisation a été ouvert en 2000 par Jean-Paul II. Dorothy Day est décédée le 29 novembre 1980. Elle fut une femme de contradictions, jusque dans ses visions sur l’Eglise, alliant révolution politique radicale et révolution sociale, mais insistant encore sur la liturgie : « Je suis désolée, je suis une traditionnaliste ». Jehanne, étudiante de l’ISSEP Bibliographie : DAY Dorothy, La Longue Solitude, Paris, Le Cerf, 1955. GEOFFROY Elisabeth, GUILLEBON Baudouin de, RIVAZ Floriane de, Dorothy Day, Paris, Taillandier, 2018.