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Du Covid-19 à Joe Biden, la double peine des Afro-américains

Du Covid-19 à Joe Biden, la double peine des Afro-américains

Frappés de plein fouet par le Covid-19, les Etats-Unis dénombraient fin mai près de 100 000 décès. Mais outre la crise sanitaire qu’il provoque, ce virus expose les inégalités au sein de la société américaine, notamment envers les Afro-américains qui sont l’une des clés de la présidentielle.

 

Le candidat démocrate à la Maison-Blanche Joe Biden a remué le couteau dans la plaie de la communauté afro-américaine en prenant à parti cette semaine un journaliste noir qui l’interrogeait. En imitant l’intonation noire, il s’est exclamé « si vous êtes noir, vous ne pouvez pas hésiter entre Trump et moi ». Déjà gravement empêtré avec son fils dans l’affaire d’ingérence en Ukraine et des accusations de harcèlement sexuel, Joe Biden aurait pu faire l’économie de ce nouveau scandale qui froisse une communauté très importante, habituellement “cliente” du parti démocrate, particulièrement touchée par la Covid-19.

 

Surmortalité de la population Afro-américaine

En effet, d’après l’American Public Media Research Lab, bien que la communauté noire ne constitue que 13% de la population américaine, ses membres représentent 27% des décès liés au Covid-19. Dans certains États fédérés, les Afro-américains sont même surreprésentés parmi les victimes. En Louisiane par exemple, les Noirs totalisent 57% des décès alors qu’ils ne représentent que 32% de la population. De même, au Michigan, ils totalisent 43% des décès alors qu’ils ne constituent que 14% de la population.

Cette surmortalité s’explique par plusieurs facteurs liés entre eux. En premier lieu, les Noirs sont davantage victimes de la pauvreté que les Blancs aux Etats-Unis. Ainsi, selon une étude du United States Census Bureau, en 2018, 23% des Afro-américains vivent dans des foyers dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté, contre 11% pour les Blancs. Ce faible pouvoir d’achat les freine pour l’épargne, et pour le règlement d’une assurance santé. En 2018, le même organisme estimait que le taux de non assurés pour la population de moins de 65 ans, était à plus de 11% pour les Afro-américains contre 7% pour les Blancs.

Cette pauvreté s’explique par le nombre important d’emplois à faible revenu occupés par les Noirs, tels que vendeurs, postiers ou livreurs. Ces emplois ne permettent pas le télétravail et accroissent le risque de contamination par le coronavirus, alors qu’ils sont considérés comme « essentiels » à la vie économique.

De plus, leurs faibles revenus poussent les afro-américains à se loger dans des quartiers pauvres touchés pour beaucoup par l’insécurité, la délinquance et l’insalubrité. Ces zones sont moins bien desservies en services, notamment les centres médicaux comme le souligne l’enseignante Amy Lesen de l’Université Dillard de La Nouvelle-Orléans, dans un article du 12 avril au Figaro, où elle parle de « racisme structurel dans la prestation des soins de santé ». De même, ces quartiers sont d’autant plus exposés à la propagation du Covid-19 que leurs habitants souffrent d’un système immunitaire plus faible et de maladies chroniques, telles que l’hypertension artérielle, l’obésité et le diabète. En effet, les emplois à faible revenu, la culture alimentaire et le pouvoir d’achat limité, favorisent une alimentation déséquilibrée. D’après le Centers for Disease Control and Prevention, en 2017-2018, le taux d’obésité Afro-américain était de 49,6%, contre de 42,2% pour les Blancs.

 

Explosion du taux de chômage

Avec la propagation de l’épidémie au Etats-Unis et l’arrêt de l’économie américaine mi-mars, la précarité de l’emploi affecte l’ensemble des Américains. Alors que le pays affichait un quasi plein emploi en février avec seulement 3,5% de la population active au chômage, les mesures de confinement ont conduit les entreprises à licencier en masse, le chômage partiel n’existant pas aux Etats-Unis. Ainsi, plus de 33 millions de personnes ont perdu leur emploi, faisant passer le taux de chômage à 14,7% pour le mois d’avril selon le Bureau of Labor Statistics. Cette situation économique fait ressurgir le spectre de la crise de 1929, avec un taux de chômage passant de 3,1% à 24% en 1932. Et si le chômage a le moins progressé au mois d’avril chez les Afro-Américains (+ 10 points de chômage pour les Noirs contre 10,2 pour les Blancs), il reste supérieur à celui des Blancs (16,7% contre 14,2%). Pour John Grigsby, économiste à l’Université de Chicago, les travailleurs à faible revenu et les petites entreprises, sont les plus touchés. Or, la perte d’emplois est une menace pour nombre de foyers qui sont confrontés à un dilemme : payer leur loyer ou leur mutuelle santé. D’après un rapport de la Réserve fédérale de mai 2019, près de 40 % des Américains disaient ne pas avoir 400 dollars de côté en cas d’urgence.

 

Sortir du manichéisme

L’ensemble de ces inégalités exposées et accentuées par la Covid-19 peuvent alimenter le sentiment d’une partie des Afro-américains d’être victimes de racisme dans un pays où cette question est déjà brûlante. À titre d’exemple, Steven Brown, associé de recherche à l’Urban Institute déclarait début avril à CNN Business que « Lorsque l’Amérique blanche attrape un rhume, l’Amérique noire attrape une pneumonie ». Néanmoins, cette vision victimaire n’est pas partagée par tous les membres de cette communauté, à l’instar de Candace Owens. Cette figure montante du Parti républicain affirmait en février, lors d’une convention conservatrice, que « L’Amérique n’est pas un pays raciste ».

À plus grande échelle, la Covid-19 met aussi à l’épreuve la société américaine dans son ensemble. La gestion de la crise sanitaire fait l’objet d’une grille de lecture partisane, entre pro et anti-Trump, accentuant la polarisation à l’œuvre au sein de la société. En effet, depuis quelques décennies, les deux principaux partis – Républicain et Démocrate – ont de plus en plus de mal à trouver des compromis, pourtant nécessaires dans le système politique américain. De même, l’émotion l’emporte sur la rationalité dans la vie politique américaine, favorisant l’antagonisme entre les membres des deux partis qui voient leurs franges extrêmes gagner en influence. Cette polarisation se constate aussi dans le soutien de Trump aux manifestations anti-confinement qui se sont déroulées dans plusieurs Etats fédérés, dirigés pour beaucoup par des démocrates.

 

Guillaume,
étudiant en Bac+5 à l’ISSEP
publié sur Valeurs Actuelles