Aucun événement trouvé !
Patrick Louis contributeur CAP - Note d'actu Covid19 économie

Les conséquences économiques de la crise sanitaire du Covid

Les conséquences économiques de la crise sanitaire du Covid

Par Patrick Louis, contributeur du CAP
Agrégé d’économie et gestion, Docteur en Sciences politiques, il enseigne à l’Université Lyon 3 Jean Moulin ainsi qu’à l’EM Lyon. Il co-préside le Conseil Scientifique de l’ISSEP

Essayer de dresser un bilan économique de la crise sanitaire que nous vivons encore est très délicat. D’une part nous ne sommes pas au bout de celle-ci : elle peut durer encore longtemps. D’autre part trois biais risquent de fausser notre analyse.

  1. Le premier biais relève de la difficulté à distinguer et séparer ce qui est propre à la crise sanitaire de tout ce qui est antérieur à celle-ci. Les crises économique et terroriste de 2008 et 2015 n’étaient pas encore bien digérées au jour de l’arrivée du virus. Fin 2019, le très mauvais état de l’ensemble des banques européennes était déjà une réalité. Il y a un an, la BCE réinjectait déjà mensuellement des dizaines de milliards d’Euros dans le système. Les dégâts déjà présents antérieurement dans l’économie risquent donc, pour partie, de se retrouver dans les chiffres imputables à la crise sanitaire en vue de cacher une crise économique structurelle antérieure et non réglée. Une telle confusion permet une dilution des responsabilités et empêche de réaliser un bilan pertinent.
  2. Le deuxième biais est la difficulté à mesurer justement la réalité. S’il n’y a « de science que de mesure », comme le disait Aristote, il y a bel et bien des gens qui tiennent le stylo pour écrire les statistiques. Les chiffres, s’ils sont généralement purgés de tous biais méthodologiques, sont donnés essentiellement par la puissance publique. Ils sont délivrés annuellement, donc avec un certain délai de retard, ce qui limite toute analyse quantitative dans l’immédiat. De plus, à la différence de la crise financière de 2008, toutes les entreprises ne sont pas touchées et certaines activités profitent même de la crise. Ainsi tous les chiffres globaux, présentant des moyennes, révèlent mal les difficultés vécues par certains. Les plus-values d’Amazon et du commerce en ligne ne compensent pas les pertes de milliers d’indépendants. Les chiffres donnés dans cette analyse sont ceux disponibles début novembre 2020.
  3. Troisièmement, sont à noter les difficultés à dire ce qui sera visible à court terme et ce qui sera révélé à long terme. Deux exemples : les prêts gouvernementaux garantis par l’Etat (PGE), tiennent les entreprises la tête hors de l’eau. Mais le prêt n’est pas un don, il faudra bien le rembourser ! Faut-il intégrer le rebond de l’été et ainsi faire un bilan actif-passif ou ne parler que des coûts ? Dans l’instant, la photographie de la situation économique ne montre pas l’avalanche des faillites et des licenciements qui inéluctablement arriveront. Nous constaterons les dégâts une fois le reflux du tsunami de liquidités monétaires réalisé. Ainsi, pour cette analyse, nous nous limiterons à parler du passif.
 

Il nous faut oser un premier diagnostic. Pour cela, nous ferons un état des lieux tel que les chiffres nous permettent de le faire (I), puis nous envisagerons ce qui deviendra visible au jour de la sortie de crise sanitaire (II). Dans notre conclusion, nous présenterons quelques observations sur les mutations du monde présent. Des mutations accélérées ou provoquées par la situation du confinement, méthode choisie comme remède pour mettre un terme à la pandémie.

 

I- Etat des lieux

 

A- Comparaisons internationales

A la différence des autres crises, le monde entier est touché par la crise économique consécutive au Covid-19, mais certains pays le sont plus que d’autres et certains sortiront plus rapidement de la crise que les autres.

a- Selon les prévisions du FMI éditées avant la crise, le PIB mondial, après avoir bénéficié d’un taux de croissance de 2,9% en 2019, aurait dû avoir un taux de 3,3% pour 2020 et 3,4% pour 2021 ! En réalité, la récession mondiale annoncée en juin 2020 devait être de -4,9% : un écart de 8.2% avec les prévisions. Un rebond de 5,4% était envisagé. Ce qui était loin de couvrir les pertes ! Mais depuis, le deuxième confinement est intervenu et il est fort probable -selon l’OCDE- que la récession mondiale soit au moins de -7,6% avec un rebond de 2,8% en 2021.

Le 8 avril 2008, Le Fonds Monétaire International estimait le coût de la crise financière pour le seul système financier à 945 milliards de dollars. Pour l’économiste Éric DOR « la perte cumulée du revenu disponible des ménages et associations sans but lucratif en France a été approximativement de 762,5 milliards d’Euros du quatrième trimestre 2008 au premier trimestre 2018 ».

Le choc de la crise du Covid est d’autant plus brutal qu’il s’ajoute à une situation, héritée de 2008, très détériorée. Il est fort probable qu’il restera le plus violent – en terme économique – vécu depuis la Seconde Guerre Mondiale.

Selon l’OCDE(1) , le double choc né de la reprise de l’épidémie ferait passer les USA d’un PIB de 100 en 2019 à un PIB de 94 en 2021. La Chine resterait stable. Quand le Japon serait à 93,5, la Russie à 96,4, le Royaume-Uni à 91,6, l’Espagne à 91,6 ; l’Italie à 92,8 ; l’Allemagne à 94,5. Selon ce calcul, la France perdrait sur cette période 2019 -2021 :7,4 points d’indice. De son coté, fin juin 2019, et lors de l’examen du projet rectificatif de loi de finance, le Gouvernement(2) table sur une récession historique de 11% du produit intérieur brut (PIB) pour la seule année 2020.

b- A ce niveau, deux remarques sont à faire : en effet, une hausse de 10% ne compense pas une baisse de 10%. Ainsi, une valeur 1000 qui perd 50% tombe à 500, mais une remontée de 50% ne la replace qu’à 750. En clair, il faut un taux de croissance bien supérieur à 10% pour remonter une chute de 10%. D’autre part ceux qui pensent qu’il n’y aura pas de choc brutal devraient se souvenir toute richesse détruite ne pourra pas être distribuée (sauf prestidigitation…). Il y aura donc bel et bien, tôt ou tard, un impact douloureux sur les pouvoirs d’achat. La sortie de crise sera difficile car, comme tous les pays occidentaux ont été touchés, aucun ne pourra tirer vers le haut la reprise des autres. Et la Chine creusera l’écart, si tant est que leurs chiffres soient véridiques.

 

B- En France : des impacts micro-économiques très inégaux

Dans ce jeu à somme négative, certains vont beaucoup perdre mais d’autres vont gagner.

a. Distribution inégale des sanctions
Suite au premier confinement (période 17 mars au 11 mai 2020), selon l’INSEE le PIB a certes reculé de près de 19% sur le seul deuxième trimestre mais le revenu disponible brut des ménages français, lui, n’a baissé que de 2,6%. Ceci notamment grâce aux mesures de soutien mis en place par le Gouvernement dont le dispositif de chômage partiel tout particulièrement.

Ce recul relativement faible du revenu des ménages en rapport avec la chute de la production cache deux choses. Cet impact immédiat relativement faible est illusoire à terme car la contrainte est déportée sur les finances publiques dont les effets ne manqueront pas de se manifester sur tous. Ensuite, l’agrégation des chiffres cache de nombreuses disparités selon les ménages. Comme le relève une étude récente de l’INSEE(3) : la dégradation de la situation financière des ménages varie en fonction du niveau de vie initial. Une personne dont le niveau de vie était celui des 10% parmi les plus bas revenus, verra sa situation financière impactée pour 34,8% quand elle sera d’environ 19% pour un individu identifié dans la population aux revenus médians et de 15,5% pour une personne appartenant aux déciles les plus hauts (9ème et dernier décile). La sanction est claire : les confinements ont généré au moins un million de pauvres en France.

Les grands perdants sont aussi ceux dont les revenus étaient liés à une profession indépendante. Ce sont les artisans et les commerçants, restaurateurs, hôteliers, les gens du spectacle et du monde du sport. Ces professions menées par des hommes et des femmes libres, autonomes et responsables, sont les deux catégories socioprofessionnelles les plus touchées par les restrictions sanitaires. Les cultes chrétiens vivant des quêtes sont également en situation très difficiles. Les professions les moins concernées par les possibilités offertes par le télétravail, donc à distance, sont celles qui ont subi la plus grande dégradation de leur situation financière. Les salariés adossés à des grands groupes ont mieux supporté le choc, tout comme les retraités dont seulement 6% ont vu leur situation financière se dégrader. 33% des ménages avec enfants déclarent avoir subi cette dégradation contre 18% des ménages sans enfant. Les coûts supplémentaires peuvent provenir de la nécessité de garder les enfants et de se substituer à la cantine.

Toujours selon l’étude INSEE, sur la courte période du premier confinement : 3% des personnes ont déclaré avoir perdu leur emploi. Les pertes d’emploi ont d’abord touché les actifs les plus jeunes. 9% des actifs âgés de 15 à 24 ans ont perdu leur emploi au cours du premier confinement, contre 1,3% pour ceux de plus de 50 ans.

b. Il y a des perdants mais aussi des gagnants.
Même s’ils attendent les rétributions promises et apparemment non versées : les infirmières, les médecins, les pharmaciens et les autres professionnels de santé en première ligne (le personnel des commerces alimentaires également) voient leur réputation plus que jamais renforcée.

Concernant les entreprises ou secteurs d’activités, selon le centre d’études de la banque Mediobanca, les grands gagnants sont les multinationales de l’Internet (le WebSoft) et les producteurs de jeux vidéo. Il s’agit d’un secteur qui a toujours cru beaucoup plus vite que les autres et qui, dans une crise, maintient cette vitesse de croissance. Elles occupent la première place du podium parmi celles tirant leur épingle du jeu. Le chiffre d’affaires du secteur (dont Amazon représente plus d’un tiers) a bondi de 17,4 % et son bénéfice net de 14,9 %. Le commerce en ligne croît aux dépends du commerce de proximité (hors-alimentaire). La grande distribution a même profité de cette situation pour développer son commerce en ligne, +40% sur la période du premier confinement. Malgré une diminution des transferts d’argent et des paiements des voyages, les sociétés de paiements électroniques ont connu une croissance d’environ 4%. Les télécommunications ont vu leur trafic augmenter mais n’en tire aucun gain, car généralement leurs clients bénéficient de forfaits. Le secteur pharmaceutique a compensé ses pertes de vente liée aux traitements ordinaires par une hausse des ventes d’antiviraux et médicaments destinés aux systèmes respiratoires. L’alimentaire limite la casse… les commerces alimentaires de proximité peuvent même tirer leur épingle du jeu en regagnant une clientèle disparue ces dernières années.

Les grands perdants sont les secteurs du transport, de l’industrie automobile, des constructeurs d’avions. Ils devront rapprocher et raccourcir leurs chaînes d’approvisionnement. Les secteurs pétroliers et de l’énergie, déjà dans un contexte déflationniste, doivent s’adapter aux nouveaux impératifs nés de la transition énergétique. Le secteur de la mode n’a pu, malgré les ventes en ligne, combler ses pertes de vente. La lunetterie a paradoxalement tenu son rang. Le secteur de l’assurance doit se préparer à couvrir des litiges à venir, notamment de nombreuses demandes d’indemnisation liées au Covid-19. La finance est restée globalement et apparemment stable, mais elle pourrait bientôt faire les frais d’une crise des liquidités. Distribuer des prêts garantis par l’Etat est une activité rentable mais le taux de risques va croître chez les débiteurs devenus insolvables, faute de reprise rapide de l’activité. Les faillites à venir peuvent impacter négativement les résultats bancaires dans des temps proches. Toujours selon le centre d’études de la banque Mediobanca, et d’une manière générale dans cette redistribution des cartes, trois secteurs en particulier vont prospérer dans l’ère post-pandémique : la « Big Tech », la santé et le bien-être. Trois vont devoir muter : la grande distribution, le transport, le tourisme.

 

II. La sortie de crise

 

Le 24 novembre 2020, nous sommes dans l’incapacité de dire quand aura lieu la sortie de la crise et du confinement. Ce qui est certain, c’est que chaque journée supplémentaire de confinement creuse les déficits des entreprises peu ou plus résilientes. En clair, seules les entreprises dotées de larges réserves financières pourront aisément rebondir. Après « le quoi qu’il en coûte » du Président Macron pour marquer la solidarité de la dépense publique avec les victimes économiques de la crise sanitaire, il faudra bien se poser les deux questions suivantes. Combien ont coûté les diverses mesures : plan de relance, mesures sectorielles, chômage partiel, aides diverses, mais aussi et surtout : qui va payer ?

a- Le prix du « quoi qu’il en coûte »

Craignant une récession de 11% du PIB en 2020 et 800 000 suppressions d’emplois en 2020, le Gouvernement français, lors du vote du troisième projet de loi de finance rectificative, annonce avoir apporté un soutien de « 460 milliards d’euros » à l’économie, soit environ 20% du PIB.

Analysons la ventilation de cette somme énorme. Dans ce filet de sécurité sont intégrés les prêts ou les simples garanties de l’Etat. Mais attention, toutes les sommes budgétées par l’Etat ne sont pas forcément dépensées. Sur les 462 milliards d’euros déjà annoncés, « seuls » 57,5 milliards d’euros correspondent à des « mesures avec impact sur le solde public », c’est-à-dire des dépenses certaines pour l’Etat. De même, sur les 100 milliards annoncés par Jean Castex[4], seuls 80 milliards seront imputés directement au budget de l’Etat.Dans la loi de finances rectificative, il s’agit par exemple des sommes affectées au soutien à l’activité partielle (31 milliards d’euros), du fonds de solidarité pour les entreprises (8 milliards d’euros) ou de l’exonération des cotisations sociales (3 milliards d’euros). Le coût pour la puissance publique, donc à terme pour le contribuable, reste incertain pour les 300 milliards restants. Pour les prêts, le dilemme subsiste : soit les entreprises remboursent et l’Etat retrouve sa mise (sachant qu’elles sont exsangues et incapable de financer une reprise de l’investissement), soit les entreprises ne peuvent pas rembourser et c’est la double peine pour les finances publiques : des entreprises en faillites et des créances non couvrables. N’oublions pas que seul le chemin de la croissance permettra de retrouver des nouvelles recettes fiscales et que celui-ci passe par l’augmentation des investissements de productivité et de capacité. Sans croissance, les revenus des ménages diminueront, les recettes de l’Etat chuteront, il aura moins de rentrées financières car les secteurs à l’arrêt ne paieront plus ni impôts, ni TVA, ni charges sociales…

Le temps devient un paramètre essentiel dans l’équation. Pousser les entreprises à rembourser rapidement, c’est soigner les finances publiques mais pénaliser les entreprises. Redonner des délais aux entreprises pour quelles refassent leur trésorerie, c’est mettre les finances publiques dans un piteux état. Le report d’échéance, cette aide de trésorerie, pourra porter jusqu’à 34 milliards d’euros, représentant environ quatre fois le budget de la Justice ou une fois le budget annuel de la Défense.

Du fait de ces dépenses, le déficit budgétaire sera de 222 milliards d’euros en 2020 alors qu’il était prévu dans la loi de finance initiale qu’il serait de 93,6 milliards. Rapporté au PIB de 2019 qui fut de 2 425 milliards d’euros, le déficit sera donc d’environ 9 % du PIB, bien loin des 3% du PIB exigé par l’Union Européenne. Nous aurons donc pour 2020, des ressources nettes prévues initialement pour le budget général de l’Etat de 250,7 milliards d’euros et un déficit de 222 milliards, soit un déficit égal à 85,5% des recettes nettes de l’Etat. A ce rythme, il est fort probable que pour la première fois dans l’histoire, un Etat sera, en fin de crise du COVID,  davantage financé par l’emprunt que par ses recettes…

En cumulant le service de la dette (remboursement des tranches de capital dû) et en y ajoutant la charge de la dette que l’Etat doit annuellement verser à ses préteurs (les intérêts dus), l’Etat a donc besoin d’emprunter 361,2 milliards d’euros pour boucler le budget 2020. La dette de l’Etat, dette souveraine de 2 638 milliards d’euros fin juin (114,1% du PIB), dépassera les 125% du PIB en fin de crise, soit une très lourde charge pour les générations à venir !

b- La fin des politiques accommodantes ?

Nous nous trouvons donc dans la pire des situations financières que la France ait connu depuis 1945. Le recours au plan de relance ainsi que les arbitrages du pouvoir sur une crise sanitaire encore plus grave à court terme et des finances publiques dégradées pour le long terme, mériteront un autre débat. Ce débat qu’il faudra tenir sereinement suppose que nous sachions d’une part, quelle est la valeur économique d’une année d’espérance de vie gagnée et d’autre part, combien de vies ont été prolongées par ces types de confinement. Puis, il nous faudra mettre en contrepartie la charge à payer par les générations à venir, pour tirer de cette analyse coût-bénéfice, un vrai bilan. Certes, cette méthode rebutera certains lecteurs mais elle reste à la base de tout raisonnement économique. L’économiste Patrick Artus ose aborder le sujet : « un mois de confinement strict coûte, à court terme, 5 points de produit intérieur brut (PIB)… si le nombre de vies sauvées est d’environ 20 000 par mois… un point de PIB représentant 24 milliards d’euros, ça fait très cher la vie » résume-t-il.  Ce qui fait un total d’environ 6 millions d’euros… pour une vie sauvée ou pour quelques années de vies ? Le calcul est froid, dur mais c’est une réalité. L’argent dû devra être payé et les décisions économiques futures seront saignantes car il faudra bien, un jour ou l’autre, le sortir d’une poche : la nôtre !

Aujourd’hui nous vivons « comme Alice au pays des merveilles ». Certains pensent qu’une dette pourrait ne jamais être remboursée, d’autres qu’avec des taux d’intérêt négatifs, il n’y a rien à craindre. Oui, la prestidigitation et la morphine font passer de bons moments… Mais ce qui est sûr, c’est que les réveils douloureux et les cauchemars existent aussi.

Des taux d’intérêts négatifs signifient que le temps n’a plus de valeur économique. Cette réalité provient de la production immodérée de fausse monnaie par le système bancaire et la BCE. Ils augmentent l’offre de monnaie dans un contexte de diminution des investissements hors bulles spéculatives : immobiliers et valeurs immobilières existants. Ce fait ruine progressivement les épargnants qui voient le fruit non consommé de leur travail perdre de sa valeur au fur et à mesure de la croissance des prix. Elle casse toute rationalité économique. Pour le prêteur, pourquoi prêter car il n’y a plus de gain ? Comment décider dans un monde où le prêt à long terme est quasiment rémunéré au même taux qu’un prêt à court terme ? L’incertitude sur le moyen terme est considérée de la même manière que le risque d’aujourd’hui. L’incertitude et la confiance sont deux principes essentiels au cœur de l’économie. La crise actuelle se nourrit de la méfiance présente de la société civile envers ses dirigeants, et de l’incertitude quant au futur. Deux mauvais ingrédients pour sortir d’une crise économique.

Pourtant, dans ce marasme, s’endetter coûte très peu. Ainsi, avoir une dette et la refinancer par une dette ne semble pas catastrophique. C’est vrai mais deux illusions dramatiques sont présentes. D’une part, croire que la dette ne coûte rien car les taux d’intérêt sont bas et d’autre part, espérer ne jamais rembourser celle-ci.

La première menace apparaîtra le jour où les préteurs ne feront plus confiance à la France. N’oublions pas l’affirmation d’Oscar Wilde : « On ne meurt pas de ses dettes, on meurt de ne plus pouvoir en faire ». Un simple relèvement de 1 % des taux d’intérêt produirait un surcroît pour le budget de l’État de 2,5 milliards d’euros la première année et de 15 milliards d’euros la cinquième année. Le jour viendra où les taux d’intérêts monteront en flèche. Des pays comme la Chine et les Etats-Unis gardent une économie réelle solide. Ils auront des besoins de financement. Ils attireront à eux les capitaux en les rémunérant positivement. Nous ne pourrons plus « rouler la dette » en nous réendettant sans payer le prix réel de celle-ci. Le coût deviendra exorbitant. De plus, n’oublions pas que ce n’est pas parce que les taux sont bas que le service de la dette baisse. Il faudra toujours rembourser chaque année la tranche d’emprunt arrivant à terme.

Le gouvernement entend cantonner[5] une partie de la dette contractée à cause de la crise du COVID. Comme cela fut fait en 1996 avec la création de la « Caisse au Remboursement de la Dette Sociale ».  Dette née de l’emprunt effectué pour « boucher les trous de la sécu » et qui a généré, pour son remboursement, un prélèvement sur tous les salaires de 0,5%. Cette CRDS fut un cadeau de 150 milliards prélevés pendant vingt-deux années sur les revenus des générations à venir. Mais un étalement du remboursement de 150 milliards de dette n’est rien face au total de la dette actuelle. Vingt-quatre années plus tard, nous payons encore cette CRDS pour rembourser la fameuse dette cantonnée de la Sécurité sociale ! Notez qu’au pays du développement durable et de l’angoisse du long terme climatique, cette CRDS, vient d’être prolongée jusqu’en 2033 malgré sa disparition programmée initialement en 2024. Tirons les leçons de cette pitoyable CRDS : s’endetter est facile, se désendetter est pire que le sparadrap du capitaine Haddock !

Augmenter les prix, les impôts ou les taxes, reste l’inévitable solution pour rembourser le capital dépensé, mais dans un monde d’hyper-concurrence, c’est une folie. La priorité doit être de faire croître les chiffres d’affaire, les marges et les emplois afin d’augmenter la base des recettes fiscales et sociales et ainsi participer par la croissance de l’activité à la décroissance du stock de dette. L’industrie serait une planche de salut car les gains de productivité peuvent y être grands, mais les chaînes de la valeur industrielle ont quitté la France. Nous ne produisons plus de voiture, de Doliprane ou de ventilateurs sur notre sol…  Seuls deux secteurs forts de notre économie sont rescapés du « fabless[6] » des années 80, le tourisme et les services, mais qui génèrent des gains de productivité faibles. Tout matraquage fiscal générera un rétrécissement de l’assiette fiscale. L’Allemagne résiste mieux à la crise car elle a encore 22 % de son PIB issu de son industrie.  En France, ce n’est plus que 10% du PIB et nos impôts sur la production sont trop forts. Les salaires sont faibles et leurs coûts chargés élevés. Le coût de la main d’œuvre d’un ouvrier dans l’industrie est, selon Patrick Artus, de 38 € par heure en France, quand il est de 9€ en Roumaine et 12€ en Chine.

Nous sommes dans une triple crise. Crise de l’offre car nos entreprises sont dans les difficultés de bien produire et dans une crise de la demande, car les ménages ne peuvent pas dépenser ou bien n’ont pas le cœur à dépenser. La thérapie par la peur a un coût économique catastrophique. Il faut réhabiliter le risque économique, dissuader de thésauriser et orienter prioritairement l’épargne surabondante des ménages vers toutes les sortes d’investissements productifs et non plus vers les finances publiques, hormis les dépenses régaliennes, la santé, la formation et la recherche et le développement. La dette n’est pas un inconvénient si elle finance des secteurs économiques d’avenir, stratégiques, assurant notre indépendance en tant que nation, ou de l’infrastructure. C’est de l’investissement mais s’endetter pour distribuer des chèques dans le tonneau des danaïdes de la politique sociale c’est rajouter à terme du mal au mal.

L’annulation de cette dette est un vieux rêve irréaliste. Notre dette est détenue à plus de 64% par des acteurs étrangers. Ne pas les rembourser reviendrait à générer des conflits internationaux et pour le moins à discréditer à jamais la signature de la France. Elle est détenue à hauteur de 18% par les compagnies d’assurance-vie. Ne pas rembourser la dette c’est aussi mettre les fonds de retraite, les assurances-vie, investis en bons du trésor, en faillite et donc faire payer les épargnants Français mais aussi ruiner la confiance. Ensuite, 20% de la dette est détenue par la BCE. Techniquement cela serait possible mais politiquement impensable car les gestionnaires allemands montent la garde. Ils savent que tout cela se terminerait dans un grand désordre financier dont l’Allemagne a une triste mémoire.

L’Allemagne toute puissante par son industrie refuse la fuite par la monnaie. Elle veut garder son œuvre : l’euro. Trop fort pour les pays faibles (Les PIGS : Portugal, Italie, Grèce, Espagne…) et faible pour elle et les pays forts du nord de l’UE. Ils savent, selon l’expression du Grand Jacques Rueff, que « les dévaluations sont les égouts qui drainent tous les droits sociaux donnés et non financés ». Les élections de septembre 2021 en Allemagne seront décisives. Madame Merkel, qui a rompu les règles prudentielles de la BCE et ignoré les dernières recommandations de la cour de Karlsruhe, va quitter la politique. Il est fort à parier que, fort des bons résultats de l’Allemagne face à la crise du Covid, le nouveau chancelier retrouve le chemin traditionnel de la politique monétaire allemande.

La fracture entre pays latins et pays du Nord de l’Europe sera certainement de plus en plus béante. Il est à risquer que la France se retrouve au cœur d’un tsunami qui ébranlera l’Euro. La scission de l’euro en deux zones est plausible. Une zone Mark à Euro fort au nord avec les pays frugaux et une zone à Euro faible avec les pays Cigales n’est pas une hypothèse incongrue. La richesse de la France et la médiocrité de la gestion de nos finances publiques pourraient nous pousser à être le pays faible du groupe des forts. En clair, la Grèce de la zone Euro, soit la pire hypothèse.

La crise du Covid peut induire une crise financière et donc une crise monétaire. Dans tous les cas, ce sera bien le citoyen qui paiera, en commençant par les épargnants, puis les retraités et enfin tous les citoyens.

 

Conclusion : Un monde structurellement en mutation

 

Trois crises et trois chances pointent le bout du nez.

La crise financière latente est cachée voire noyée sous les liquidités offertes par la BCE. L’Espagne avait plus 50 banques il y plus de dix ans, aujourd’hui elle n’en a plus qu’une dizaine. La Société Générale souffre, la Deutsche Bank qui fut la plus grande banque du pays et la plus riche de la zone Euro est en crise majeure. L’imminence de cette crise n’est pas une illusion. L’avènement de L’Euro numérique et la volonté de faire disparaître la monnaie papier sont autant de signes qui cachent mal ce risque croissant. Il ne faudrait pas que la crise du Covid soit un prétexte pour agir au niveau des finances publiques, des structures sociales et légales afin de générer par la peur des comportements et des consentements utiles afin de contrebalancer une crise financière qui toucherait beaucoup plus de monde que le virus lui-même. Il faut faire de la menace une opportunité : remettre la finance à sa juste place, c’est-à-dire au service de l’économie réelle.

La crise du Covid nous apporte aussi des enseignements sur la crise écologique né du non-respect de l’ordre des choses et de l’orgueil transhumaniste, de la prétention humaine à vouloir tout maîtriser. Nous redécouvrons les valeurs de proximité, le pas lent de l’Homme, l’absurdité à vouloir toujours bouger, changer, à avoir des industries qui délocalisent car les coûts transports sont devenus apparemment nuls (1000 € pour un container EVP de 16 Tonnes de Macao à Marseille sans intégrer le coût écologique). A se perdre dans des métropoles où la densité humaine fait croître les loyers, chasse les familles et empêche l’enfant de faire des cabanes dans les arbres… Bonne nouvelle, l’écologisation s’imposera par son bon sens :  il est nécessaire de favoriser le producteur local, le commerce de proximité, les circuits courts. La gratuité et l’entraide seront prises en compte. La proximité va, au moins dans nos consciences, retrouver sa juste place.

Les crises naissent aussi des déséquilibres démographiques. Une redistribution des cartes et du pouvoir s’opère silencieusement au niveau mondial par la démographie. Trop habitués à être « la source du bien », nous avons perdu tout réalisme. Au moment où la peur de mourir n’a jamais été aussi grande, il est temps de regarder lucidement notre histoire démographique et sa perspective. En 1920, l’Europe représentait 18% d’une population mondiale de 1 811 millions d’habitants, quand les USA pesait 11% de celle-ci, soit une population issue de la civilisation occidentale représentant 29% du total. En 2020, l’Europe ne pèse plus que 747 millions d’habitants soit 9,5% de la population mondiale. Les Etats-Unis, eux, sont 369 millions soit 4,7% d’une population mondiale recensée à 7,8 milliards d’habitants, soit une population issue de la civilisation occidentale représentant 14.6% du total.

En 2050, selon l’INED, l’Europe représentera 7,6 % d’une population globale estimée à 9,7 milliards de personnes. Les Etats-Unis ne seront plus que 3,9% de l’ensemble mondial, soit une population issue de la civilisation occidentale représentant 11.4% du total. Quittons l’angélisme et soyons lucides devant l’évolution démographique. Le rapport de force bouge, il est donc suicidaire de rester malthusiens pour nos pays. Il nous faut réinvestir dans la famille et dans la natalité. Il est inutile et dangereux de fabriquer un Homme immortel perclus des outils du transhumanisme pré-Covid. Il est urgent de considérer l’affirmation d’Olivier Rey : « une société qui n’a plus de raisons pour lesquelles donner sa vie, n’a qu’une obsession : vouloir la garder ».

Ce n’est pas avec la peur que nous allons sortir de ce virage de civilisation, c’est avec l’audace et la volonté de redonner à la vie et à la mort leurs belles places : au cœur du village local !

 

[1] https://www.oecd.org/coronavirus/fr/

[2] http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b3132_rapport-fond

[3] Insee.fr –  Les conséquences de la crise sanitaire de la Covid 19, 29 octobre 2020

[4] Plan de relance, détaillé jeudi 3 septembre par le gouvernement de Jean Castex à l’issue du Conseil des ministres

[5] https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/le-projet-de-bercy-de-cantonner-la-dette-covid-suscite-des-critiques-1219999

[6] https://www.lepoint.fr/economie/le-fabless-passion-francaise-13-10-2011-1387565_28.php