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Cinq questions à … Patrick Libbrecht

Cinq questions à … Patrick Libbrecht

Patrick Libbrecht, Président honoraire de l'ISSEP, ancien dirigeant d'entreprises privées  

Diriger une grande entreprise à l’étranger

Vous avez dirigé des filiales d’une grande entreprise française : Danone, en Afrique du Sud ou en Europe de l’Est, comment avez-vous adapté votre management face aux différences culturelles de ces pays ? J’ai très vite découvert que l’écoute et le questionnement étaient les meilleurs moyens pour s’adapter dans un nouveau pays, car cela permet d’apprendre et de comprendre, tout en valorisant les personnes de son entourage. On ne change pas vraiment de management quand on arrive dans un nouveau job ou dans un nouveau pays, mais c’est notre attitude qu’il faut adapter : je devais entreprendre, en étant un « étranger » qui était regardé, commenté et je devais réussir à prendre en main un business ! C’était donc à moi de faire des efforts, de m’insérer plutôt que de m’imposer, d’accepter les différences, surtout à ces périodes, en Afrique du Sud ou en Bulgarie, pays aux (r)évolutions politiques et économiques particulièrement compliquées, sans pour autant dévier de mes objectifs économiques. C’était aussi tout un lot de découvertes, un apprentissage permanent, des remises en cause dues aux habitudes locales, des affinités à créer, des organisations à faire évoluer… tout cela, dans une langue qui n’était plus ma langue maternelle... et avec des moments d’inquiétude, de solitude, de volonté de bien faire ou de ne pas faire (trop vite) d’erreurs. J’ai vite constaté que l’humilité : ne pas arriver en conquérant, surtout quand on a le pouvoir, et l’adaptabilité : se mettre au diapason de son environnement, étaient pour moi deux principes majeurs d’une intégration réussie. Quels sont les principales difficultés que vous ayez rencontrées à l’étranger dans le déploiement de vos projets ? J’en vois principalement deux, qui s’appliquent certainement à tout nouveau projet, mais qui me semblent être plus aiguës à l’étranger, du fait de la langue et de l’histoire du pays : être bien certain que l’on est compris, et changer les habitudes. Des explications suffisantes, du sens à la décision, du temps passé à vérifier la bonne compréhension de tous les acteurs concernés, de l’organisation et des étapes réalistes sont indispensables à la réussite des projets et à la cohésion des équipes. Je me souviens de cette petite phrase en Bulgarie qui m’a fait beaucoup réfléchir sur la mise en œuvre de nos plans : « Pourquoi voulez-vous changer ? Cela fait 30 ans que l’on fait comme cela … ! ». Si vous n’expliquez pas suffisamment, et par la suite, si vous ne contrôlez pas suffisamment, vous risquez incompréhension, lenteur, erreurs ... On a aujourd’hui une vision très négative de l’administration française, est-il plus facile de mener des projets à l’étranger ? Malheureusement, trop souvent les administrations sont tatillonnes, sclérosées, peu au fait des préoccupations des entreprises, surtout dans des pays en mutation politique et économique comme ceux où j’ai vécu. Mais je rappelle que c’est le « politique » qui fait les lois que l’administration applique ensuite, dans un pays quel qu’il soit. Ces politiques de tous pays devraient passer obligatoirement par l’entreprise, ils apprendraient beaucoup, seraient vraisemblablement ensuite bien plus opérationnels et pratiques, et éviteraient les lois et décrets inadaptés, peu réalistes ou trop compliqués. Il y en a tant en France ! C’est d’ailleurs une des raisons de la création de l’ISSEP, mélanger les genres, des affaires publiques et des savoirs de l’entreprise pour rendre plus efficaces et plus opérationnels les décideurs de demain. L’administration est pour moi indispensable pour structurer les domaines régaliens pour le bien de la société, mais elle devrait être « au service » de ceux qui créent ou développent des entreprises. Sans oublier de valoriser les entreprises, et leurs chefs d’entreprise, car elles sont la première source d’emplois dans les pays développés. Pouvez-vous nous citer un ou plusieurs projets internationaux qui vous ont marqués ? L’ouverture des frontières en Europe et l’arrivée de la libre circulation des marchandises et des biens avec comme conséquence directe l’accélération des exportations et l’adaptation aux marchés locaux. Il fallait organiser la cohérence des produits, et surtout des conditions tarifaires et commerciales. Rares étaient à l’époque, pas si lointaine, les entreprises qui étaient préparées ! La mise en place de systèmes informatiques de tableaux de bord transparents, cohérents, partagés et standardisés pour toutes les filiales d’un groupe mondial ou le lancement coordonné dans plusieurs pays en même temps d’un nouveau produit sont aussi pour moi des souvenirs de périodes d’activité très dense, de travail d’équipe où la bonne organisation et la communication rapide étaient primordiales. S’il existe un style de management à la française, quelles en sont les valeurs ? Je ne crois pas si l’on puisse parler de management à la française, néanmoins la compétence, l’excellence, les résultats de bien des entreprises françaises sont reconnues au-delà de nos frontières. Et ce qui fait leur succès ou leur image pourrait, me semble-t-il, se résumer à : une bonne dose de stratégie ambitieuse et bien réfléchie, avec des équipes créatives bien formées qui ont toutes un rôle compris et utile dans l’organisation, et un soupçon de volontarisme débridé et généreux. Louise M. et Hugo, étudiants de l’ISSEP